«Si la culture devait servir à quelque chose,
ce serait a mesurer le temps que met une graine à devenir un fruit»

Après une saison estivale riche en emotions et en decouvertes (concerts du festival OMNI, de la pleine Lune, after works ou apero jazz, fete des ateliers des cultures, expositions, rencontres, cafes-philo...), le Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumunster propose, pour les mois qui nous separent du lancement de «Luxembourg et Grande Region, capitale europeenne de la culture 2007», un programme illustrant à la fois la diversite de la creation artistique et une constante, son refus de l'ordre etabli, sa negation du conformisme, sa repulsion face aux silences qui ratifient l'assertion «qui ne dit mot consent». «Rebelle un jour, rebelle toujours», tel est le titre de l'exposition consacree à l'oeuvre de Maxime Kantor que la disparition supposee du stalinisme n'a pas reduit au silence, tant ses tableaux continuent à hurler l'indignation, à stigmatiser la complaisante indifference ou à denoncer la passive collaboration à ce qui devrait ecorcher nos consciences. Mais l'esprit rebelle de l'artiste sera aussi exprime par les representations des textes de Pierre Desproges, humoriste insolent, impertinemment pertinent, critique avise et cruel de nos petites faiblesses et de nos grandes paresses; par les discussions animees des grands debats et des mardis de la philo, par les conferences et les forums. Pourtant, le sens, la pensee et l'action ne seront pas reserves à des manifestations ou la parole est l'outil principal. Des evenements festifs, des concerts, des manifestations proposes aux jeunes ou aux enfants, des occasions d'apprecier la diversite, la richesse de nos differences, completeront l'eventail de l'offre de notre centre, tant il est vrai que les emotions collectives, les plaisirs partages, les surprises, les decouvertes, les affaissements bienvenus de nos prejuges, les confrontations avec les expressions qui ne nous sont pas familieres, construisent cet esprit citoyen, sinon rebelle, au moins critique, qui fonde les vraies democraties.
Il y a quatre cents ans la première pierre de L'Abbaye de Neumunster etait posee par L'Abbe Pierre Roberti. Depuis, ces murs auront abrite plus de misere que de spiritualite. Jusqu'à l'ouverture du Centre en 2004. Ce passe nous impose, plus qu'ailleurs, de garder memoire et d'inventer l'avenir.
C'est dans l'atmosphere oppressante d'un regime pour qui les artistes se devaient de refleter les theses du pouvoir, dans une Union Sovietique qui condamnait la liberte d'expression artistique comme elle condamnait la liberte de la presse, dans un pays ou le createur dissident representait une menace pour l'ordre etabli, que j'ai croise l'oeuvre de Maxime Kantor. II mettait sur ses toiles son indignation et ses espoirs, son refus de l'inacceptable et ses aspirations libertaires. Ils etaient quelques uns à risquer le pire pour avoir le courage de le denoncer. Kantor utilisait ses pinceaux et sa plume, ses couleurs et ses mots pour accomplir cette mission fondamentale de l'artiste, oser dire non quand les autres n'ont plus le courage ou la force de se rebeller. Bien des annees apres la chute du mur, Maxime Kantor n'a pas renonce à denoncer les travers et les abjections d'un monde qui n'a plus besoin de se refugier derriere des ideologies pour imposer à l'humanite son lot d'inhumanite. Rebelle un jour, rebelle toujours, le titre de cette exposition resume la voie que se trace, sans compromis et sans relache, Maxime Kantor. Mais, pour parler de cette oeuvre, laissons la parole à un autre perpetuel revolte, Fernado Arrabal :
«Maxim Kantor reflète dans son univers l'exaltation du quotidien et de l'hallucination. Grisaille de nulle part et de partout... Atmosphere de concentration, preside par les desastres de Goya. Hopitaux psychiatriques ou s'affairent de sinistres infirmiers. Maxim Kantor peint des murs peu eleves, ecrases de melancolie. Des toits vaguement perces d'etroites ouvertures sans etoiles. Brèches qu'on nomme fenetres. Un homme et une femme - Don Quichotte et Sancho du desespoir - sont assis sur le banc qui se trouve dans l'espace de l'indetermine et de l'angoisse. Parfois une demeure, une ville, toute une geometrie de monotonie,'rougeoient de tous les feux de l'enfer.
Maxim Kantor nous donne à voir des masses ordonn
ees par le «Big Brother», repetant à l'infini un modèle standard. Sous les chairs de ses portraits l'on devine le squelette pret à jaillir. Les etres s'enlacent ou se combattent. Mais tous se heurtent à l'obstacle du reel. Le flamboiement qui les accompagne et l'obscurite sur laquelle ils se detachent n'augurent qu'inquietude etetrangete. (...)
Maxim Kantor accouche de la v
erite et peint des cataclysmes tranquilles et sans bruit. Il les eclaire de sa propre lumière. L'art, selon Braque, n'est-il pas une blessure faite lumière. La realite surgit des toiles entre les yeux et les paupières de la violence. Et de l'amour. Les eclairs du monde jaillissent. Ils affleurent, fruits du visible comme de l'invisible, corrodent les objets et les corps, rongent les ames demises. Telle est l'oeuvre de Maxim Kantor qui, par la force et la vehemence de ses tableaux, devient un semeur de liberte».
Critique et visionnaire, Kantor, qui est non seulement artiste, mais encore philosophe et ecrivain, se place en dehors des courants artistiques en restant avant tout un humaniste courageusement engage.
Kantor a ete introduit à Luxembourg lors d'une exposition organisee en 1995 au «Tutesall» à l'initiative du grand collec­tionneur G. Vogel. Depuis une vingtaine d'annees ses oeuvres sont exposees à travers l'Europe et bien sur en Russie.

Guy de Muyser, commissaire de l'exposition